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Rencontre avec Lizbeth, actrice du changement à Yunguilla, en Équateur

Rédigé par V Social | 17 avr. 2024 13:58:03

 

Récemment, Marie Witzel, coordinatrice de la fondation V Social, s'est entretenue avec Lizbeth Morales au sujet de son rôle de leader dans sa communauté rurale. Âgée de 24 ans, Lizbeth est un véritable modèle, montrant comment les jeunes contribuent à façonner l'avenir de leur pays.

En tant que responsable à Yunguilla, un village situé juste au nord de Quito dans les Andes équatoriennes, Lizbeth participe aux efforts touristiques de sa communauté. Ici, les visiteurs peuvent séjourner dans des logements locaux et déguster des repas traditionnels à base de produits locaux au restaurant du village.

Marie : Pour commencer, peux-tu te présenter ?

Lizbeth : Je m’appelle Lizbeth Morales. Je suis originaire de la communauté de Yunguilla, située en Équateur, dans la province de Pichincha. Dans ma communauté, je supporte le tourisme et je m’y dédie pleinement.

Marie : Peut-être pourrais-tu nous parler un peu de Yunguilla et comment c’était d’y grandir.


Lizbeth: Je suis née et j’ai grandi ici toute ma vie. Ce que je sais à propos de ma communauté, est qu’elle n’était pas organisée auparavant. Il y avait un total désordre autour de l’agriculture, l’élevage et la récolte des ressources forestières. Je n’ai pas vécu cette étape, mais je sais que tout cela s’est produit dans le passé.

Au cours de ma vie, il a davantage été question de tourisme et de conservation. À l’école, j’ai suivi des cours d’éducation à l’environnement. Après cela, j'ai rejoint le groupe d'artisanat, où j'ai commencé à collecter des graines et à ramasser des feuilles pour décorer du papier. Ensuite, j'ai commencé à participer à d'autres activités, comme la cuisine et le métier de guide.

Ce qui est intéressant dans ma communauté, c'est que vous pouvez participer à toutes ces activités. Une fois que vous entrez dans le processus d'éducation à l'environnement, vous avez la possibilité de participer à toutes ces activités. En tant que jeunes, nous allions donc explorer jusqu'à ce que nous trouvions notre place. J'aimais bien être guide. Ensuite, je suis allée à l'université et je me suis spécialisée dans la gestion du tourisme et la conservation de l'environnement. C'est là que j'ai découvert que j'aimais la gestion, alors c'est ce que j'ai décidé de faire ici.

Marie : Tu es allée à l'école à Quito, ainsi qu'à l'université, n'est-ce pas ?

Lizbeth : Non, nous n'avons qu'un seul professeur ici dans la communauté, qui est financé par le gouvernement. Pour le lycée et l’université, nous devons quitter la communauté.



Marie : Tout en étudiante et en choisissant ta voie, as-tu d'autres rêves de carrière en dehors du tourisme ?

Lizbeth : Lorsque j'ai commencé mes études, j'étais attirée par l'idée de devenir guide international. Mais à l'époque, je ne comprenais pas bien le monde du tourisme. Lorsque je suis entrée dans ce domaine, j'ai adoré l'aspect administratif. J'ai vraiment aimé pouvoir répondre aux besoins des touristes. J'aime leur demander : « Que cherchez-vous ? Qu'est-ce que vous voulez ? » et ensuite essayer de leur offrir la meilleure expérience possible.

Il était également important d'ancrer ma carrière dans la communauté. Je crois que l'éducation nous rend individualistes et nous pousse à ne penser qu'à nous-mêmes. On se demande : « Qu'est-ce que je veux pour mon avenir ? Je dois être le propriétaire de ma propre entreprise. Il faut que ce soit moi. » Mais à Yunguilla, tout est collectif. J'ai dû apprendre à travailler en équipe. Et même si j'ai grandi ici, l'éducation m'a fait oublier cela. Quand j'étais à l'école, j'étais très impliquée dans la communauté, j'allais aux fêtes communales et tout ça. Mais lorsque je suis entrée à l'université, j'ai progressivement cessé de participer à ces activités. C'était donc un peu complexe.

J'ai aimé travailler ici jusqu'à présent parce que, dans des ateliers comme celui dans lequel je suis actuellement et d'autres auxquels j'ai participé, j'ai réalisé que le travail collectif fonctionne. Parfois, le fait de travailler ensemble nous permet de progresser plus rapidement que si nous étions seuls. J'aime beaucoup cela. J'espère faire un master sur ce thème de la collectivité à l'avenir.

Marie : Combien de jeunes personnes, entre 20 et 30 ans, travaillent dans la communauté ?

Lizbeth : En ce moment, nous avons un groupe de 20 jeunes, et 75 % d'entre eux font la même chose que moi. Le restaurant est l'une de nos activités principales, permettant aux jeunes de gagner leur vie. Du lundi au vendredi, ils étudient, et le week-end, ils travaillent ici, dans la communauté. Lorsqu'ils sont en vacances, ils travaillent au restaurant et sont également guides, font des confitures et cherchent des moyens de contribuer, mais aussi dans le but de gagner de l'argent. L'autre option serait d'aller en ville, mais ce n'est pas rentable parce que le voyage aller-retour est coûteux et qu'il ne vous reste qu'une petite partie de ce que vous avez gagné. Le métier de guide est donc une bonne option pour nous, les jeunes.



Marie : Tu as mentionné que tu travaillais à présent dans la gestion du tourisme. Peux-tu expliquer ce que tu fais au quotidien ? Que fais-tu chaque jour ?

Lizbeth : Je travaille du mercredi au dimanche. En général, je ne travaille pas les lundis et mardis, mais cela varie aussi en fonction du nombre de touristes que nous accueillons. Les jours où je travaille, je me consacre à répondre aux courriels, à envoyer des devis, à préparer des forfaits, à fournir des informations, à assister à des réunions et à m’occuper de la vente. Je m'occupe également des guides. Donc, quand je n'ai pas beaucoup de travail au bureau, je suis sur le terrain pour guider les visiteurs.

Marie : Parfait. Testons la partie vente. Que dirais-tu à un touriste européen sur ce qu’il pourrait apprendre s’il faisait appel ou partait avec un guide ? Que peut-il s’attendre à vivre ?

Lizbeth : La première chose que je fais est de leur demander ce qu'ils recherchent, pour voir si mon produit correspond à ce qu'ils veulent. Une fois qu'ils m'ont répondu par l'affirmative, qu'ils ont besoin de plus de nature, de forêt, qu'ils veulent se connecter à la communauté, je leur donne deux options : entrer en tant que touriste ou entrer en tant que bénévole. En tant que touriste, vous bénéficiez de plus de commodités, mais à un coût plus élevé. En tant que bénévole, vous n'avez pas toutes les commodités, mais c'est plus facile, du moins en termes de coûts. Ensuite, je crée un itinéraire pour eux et je le leur envoie pour voir s'ils sont d'accord. S'ils sont d'accord, ils seront accueillis à l'aéroport et viendront ensuite ici, dans la communauté. Leurs activités seront déjà préparées. C'est moi qui les accueille et leur présente ce que nous faisons ici. Ensuite, ils travaillent avec d'autres personnes de la communauté.

Marie : Pourrais-tu nous expliquer comment le tourisme s’inscrit dans la vision de Yunguilla ?

Lizbeth : Vous savez, le tourisme est l'une des principales activités économiques, mais ce n'est pas la seule. En traversant la pandémie, nous avons réalisé qu'il n'était pas possible de compter uniquement sur le tourisme. Cependant, il reste fondamental pour nous, car, sans les touristes, nous n'avons pas vraiment de moyen de commercialiser nos produits. Ils viennent dans la communauté et achètent nos confitures et nos fromages. Le tourisme a donc créé de nombreuses opportunités d'emploi pour les familles. Il est vrai que tout le monde ne peut pas être guide, mais nous avons décidé qu'une famille s'occuperait de l'hébergement, une autre de la nourriture, etc.

Le tourisme nous a également beaucoup aidés en termes de développement. Je pourrais dire que ce mélange de cultures nous a aidés à voir plus loin. À la campagne, nous nous sentons parfois isolés ou plus discrets, mais la rencontre de nouvelles cultures nous a aussi aidés à comprendre. Je peux vous donner un exemple très clair de la question de l'égalité. Ici, en Équateur, il y a beaucoup de cultures où le machisme est encore très présent, et le fait de connaître d'autres cultures nous a aidés. Nous avons appris qu'en tant que femmes, nous ne devions pas nécessairement nous contenter de cuisiner ou de nous occuper des enfants à la maison, mais que nous pouvions nous éduquer, voire trouver une passion dans notre travail. Je pense que c'est très bien. De nos jours, de nombreuses jeunes femmes ne deviennent plus mères. En Amérique du Sud, la pression pour devenir mère à un très jeune âge est très forte. Dans ma communauté, c'était souvent le cas, mais aujourd'hui, pratiquement aucune fille de ma génération n'a d'enfant. C'est une bonne chose.



Marie : As-tu des rêves pour Yunguilla ou pour l’avenir de Yunguilla que tu aimerais partager ?

Lizbeth : Oui, j'ai beaucoup de rêves. Yunguilla a déjà beaucoup de choses intéressantes. Mais je crois que nous devons en renforcer plusieurs. Le tourisme, même pour le marché national, est déjà à portée de main, et c'est ce qui nous inquiétait le plus. Nous avons passé beaucoup de temps à ne travailler qu'avec des groupes étrangers, mais aujourd'hui, même en semaine, nous recevons parfois des touristes nationaux. Quand je vois cela, je me dis : oui, pourquoi Yunguilla ne pourrait-elle pas créer son propre tour opérateur, sa propre agence ? Ce serait formidable, car cela créerait plus d'emplois. Ce serait super.

J'aimerais un jour exporter certains de nos produits. C'est ce que j'aimerais vraiment. Car, le tourisme à lui seul ne peut pas garantir notre subsistance en permanence. La pandémie nous a fait prendre conscience que même le tourisme ferme des portes à de nombreuses personnes. Beaucoup de femmes faisaient la cuisine et servaient de guides, et lorsque ces activités ont cessé, il n'y avait plus de travail. Beaucoup d'entre nous se sont habituées à recevoir des touristes chez elles, et l'agriculture a été quelque peu délaissée. Nous devons renforcer cette activité. Il ne s'agit pas forcément d'une agriculture de masse, mais d'une agriculture à petite échelle. C'est ce qui se fait déjà, mais un peu plus fort. Aujourd'hui, seuls nos grands-parents sont impliqués dans l'agriculture. Je pense que c'est un problème pour notre pays tout entier que nous ne savons toujours pas comment combattre, car nos agriculteurs sont en train de disparaître. Aujourd'hui, tous les jeunes partent étudier, ils reviennent avec des diplômes, mais qui prend une pelle, une machette et retourne aux champs ?

C'est pourquoi je me réjouis de ces ateliers, de ces organisations. Parce qu'ils nous montrent, ou plutôt nous enseignent, comment nous en remettre. Il existe maintenant une technologie qui n'est peut-être pas aussi nocive pour la terre. Elle a fonctionné pour nous. Il y a quelques mois, en tant que jeunes, nous avons réussi à organiser une minga. Nous avons toujours participé, mais nous n'avions jamais réussi à en organiser une nous-mêmes. Et je vous jure que c'était vraiment magnifique. Voir des camarades de classe qui d'habitude sont assis devant un ordinateur et font leurs devoirs avec une pelle, les voir avec une machette, c'était très intéressant.


Marie : Qu’as-tu fait dans cette minga ?

Nous avons, à présent, un projet qui consiste à travailler avec des pépinières, des serres. Pour que nous puissions produire quelque chose. Nous comprenons ce que nous, les jeunes, pouvons faire pour aider l'entreprise. La première étape a été de mettre en place ces serres. Nous avons dû défricher le terrain. C'est pourquoi, nous avions des pelles et des machettes. Nous nous sommes rendu compte que nous avions besoin d'un motoculteur. Nous avons donc acheté ce motoculteur. Cela va beaucoup nous aider. Je pense que le futur va être intéressant !